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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

les autres) des deux fuites de Ganelon et de l’interminable entretien de la belle Aude avec la mère de Roland[1]. Puis, il fera mourir en vingt couplets cette fiancée héroïque qui mourait si bien dans le texte primitif ; si bien et en si peu de vers !

Les derniers travaux de nos remanieurs ne peuvent rien offrir qui soit désormais de nature à nous étonner. Après avoir tant ajouté, il n’est pas prodigieux qu’ils jugent utile de « rédiger à nouveau » certaines parties de l’ancien texte. Oui, ils ne tiendront plus aucun compte ni des couplets, ni des vers antiques. Ils ne jetteront plus les yeux sur le manuscrit original : ils raconteront, à leur façon, certains épisodes dont les grandes lignes seulement sont gravées dans leur mémoire. Ainsi procèderont-ils pour le jugement de Ganelon[2]. Même ils adopteront des vers d’une autre mesure, et voici (mais pour cet épisode seulement) le vers alexandrin qui pénètre enfin dans notre Chanson trop remaniée et mal rajeunie[3]. Tous les manuscrits cependant ne reproduisent point partout ces dodécasyllabes un peu lourds, et nous plaçons plus bas, sous les yeux de notre lecteur, le curieux spécimen du même couplet que l’un de nos textes nous offre en décasyllabes, et l’autre en alexandrins[4]. Il y a là en germe tout

  1. Texte de Paris, couplets cccxxxviii-cccxcix ; en tout, près de quatorze cents vers.
  2. Texte de Paris, couplets cccciii et suiv. de l’éd. Fr. Michel.
  3. Cette série d’alexandrins commence régulièrement, dans le texte de Paris, au couplet ccccxxxii : Pynabiax s’agenoille et Thierris se leva (mais il y avait déjà quelques alexandrins dans les deux laisses précédentes), et se termine au couplet ccccxl. C’est un peu plus de cent vers. Tous les remaniements les reproduisent, à peu de chose près, et sauf la curieuse exception que nous signalerons dans la note suivante. ═ La dernière ou les deux dernières laisses du poëme sont aussi en dodécasyllabes dans la plupart de nos textes rajeunis...
  4. Voici les deux laisses en question. Les décasyllabes appartiennent au manuscrit de Venise no  VII ; les alexandrins au texte de Paris :
    Terris monta qui ot le cuer loial,
    L’escu embrace, si broce le cheval.
    Pinabel apelle à loi de mal vasal :
    « Vasal, dist-il, nos somes en igal.
    « Vers moi defendez le trahitor mortal. »