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Sur le premier plan, à droite, les Mères horriblement vieilles dorment ou expirent adossées à des tombeaux pleins de morts : leur aspect est navrant. Elles ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes. Elles sont devenues stériles, leur sein est desséché, et c’est en vain que les nouveau-nés pressent leur mamelle tarie. Le monde va finir. Les Parques, assises dans des attitudes de découragement, laissent tomber leur quenouille sans étoupe et leurs ciseaux inutiles ; plus d’existence à prolonger, plus de fil à couper. Leur rôle est fini, et, comme tous les êtres dont la tâche est accomplie, elles meurent. Qui ramènera de son pouce sur vos yeux creux vos paupières ridées, sempiternelles filandières ? Il n’y a plus personne de vivant, et les petits génies de la terre jettent les cadavres des derniers hommes dans le feu éternel et central.

Le feu qui flamboie au bas de la composition correspond à la lumière qui rayonne à la partie supérieure. La lumière a tout développé, le feu régénèrera tout : la clarté et la chaleur ne sont-elles pas la source de la vie intellectuelle et physique ? La mort n’est-elle pas l’obscurité et le froid ?

De ce feu s’élance, les ailes déployées, le Phénix antique, symbole de la renaissance immortelle. Comme l’oiseau merveilleux, fils de ses propres cendres, l’Humanité, consumée sur le bûcher régénérateur, jaillira plus jeune, plus brillante que jamais de la flamme purificatrice, et reprendra ses évolutions. D’autres dieux, d’autres héros, d’autres poëtes formuleront encore ses pensées et ses rêves, et, dans quelques milliers d’années, des peintres inconnus, plus grands qu’Appelles et Michel-Ange, décoreront pour elle des Panthéons d’une architecture que nul ne peut prévoir.