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formidable, aux formes bestiales, aux regards farouches, aux faces où l’intelligence humaine s’allourdit [sic] des linéaments de la brute, disparaît et s’engloutit sous ces vagues qu’il s’étonne de ne pouvoir dominer : le dinothérium gigantœum, le megalonix, le mastodonte, l’icthyosaurus, sont submergés, malgré leur taille énorme, leurs os qui sont comme des barres d’airain, leur écailles pareilles à des boucliers, malgré les tempêtes de leurs narines et les trombes de leurs évents. Le ptérodactyle et le griffon cherchent en vain dans l’air un refuge contre l’eau. Il faut périr ! Arrière, formes du cauchemar et de l’ébriété, ébauchées au hasard dans l’ivresse et la folie de la création ; être massifs, difformes, péniblement soudés, épouvantables, rampant gauchement dans les fougères de deux cent pieds de haut, rudes et grossiers essais d’un monde à refaire, délire de la matière à peine sortie du néant ; arrière ! Behemoth, Levianthan, et toi, poisson Macar, disparaissez ! Le temps n’est plus des énormités et des monstruosités. L’ébullition des premiers jours s’est éteinte. La terre, rafraîchie par le déluge, a perdu son ardente atmosphère saturée d’oxygène et de carbone. La nature plus adroite n’a pas besoin de tant d’argile pour modeler les formes nouveles [sic] dont elle repeuple le monde. L’Avenir flotte sur l’abîme des eaux, renfermé aux flancs de l’arche !

Au second tableau, les eaux diluviales se sont retirées. L’ivresse de Noé maudissant Cham le mauvais fils, qui n’a pas respecté la nudité paternelle, symbolise la séparation des races. Selon les traditions rabbiniques, le visage de Cham serait devenu tout noir et tout bouffi après sa faute, et le fils réprouvé aurait, dans son exil, donné naissance aux races nègres et basanées, tandis que des bons fils, Sem