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au moyen de glacis que l’artiste directeur pourra continuellement retoucher et rectifier, redressant ainsi les fausses interprétations de sa pensée. De cette sorte, il aura l’avantage d’arriver avec toute sa fougue sur un travail bien assis, solide et régulier, et d’imprimer facilement un style unique à l’œuvre de ces mains diverses.

Comme on voit, l’intention du maître est de sacrifier à l’œuvre toutes les personnalités, même la sienne ; caprice de main, ragoût de brosse, accent individuel, il abandonne ces mièvreries aux peintres de chevalet. A l’époque de développement où nous sommes, l’originalité d’un artiste, si piquante qu’elle soit, ne peut suffire à défrayer les travaux gigantesques et collectifs faits pour les multitudes ; il faut que l’ordre et la méthode viennent au secours de la science et de l’inspiration.

Chenavard, s’il s’est peu préoccupé du faire, semble avoir trouvé une science nouvelle, les mathématiques de la composition. On dirait que, par une analyse sagace et patiente, il s’est rendu compte de la manière de composer de tous les maîtres, qu’il a désarticulé leurs groupes, pénétré le secret de leurs lignes, mis à jour leurs artifices, découvert leurs habitudes et leurs tics même. La composition pyramidale à lignes convergentes ou divergentes, à simple ou double foyer, à un ou plusieurs plans, plafonnante, balancée, rythmique, à contre-poids, avec ou sans repoussoirs, il connaît tout ; il a combiné toutes les manières possibles d’assembler des figures, il connaît les types générateurs des groupes, le point de départ et d’arrivée des lignes, et peut mettre un géomètre au service de l’artiste.

Cette qualité si neuve, si inconnue, donne, sans qu’elle ait été cherchée le moins du monde, une originalité profonde