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L’USURPATEUR

— Comment ! tu vas te marier ? et dans ce costume ? m’écriai-je en voyant le prince revêtu d’un habit misérable.

— Allons, dépêchons-nous, dit-il, ou bien nous ne trouverons plus la fiancée.

Le prince descendait déjà l’escalier ; je me hâtai d’endosser l’habit semblable au sien et, piqué de curiosité, je le suivis.

— Mais, lui criai-je, et tous ces aveugles que tu as fait mettre dans L’écurie ?

— Nous allons les rejoindre.

— Dans l’écurie ? dis-je.

Je n’y comprenais rien du tout. Mais j’ai confiance dans l’imagination fantasque du prince, et je me résignai à attendre pour comprendre. Les aveugles étaient sortis dans la grande cour du palais, et je vis que nous étions vêtus comme eux. Ces pauvres gens avaient les figures les plus comiques du monde avec leurs paupières sans cils, leur nez écrasé, leurs grosses lèvres et leur expression bêtement joyeuse. Nagato me mit un bâton dans la main et cria :

— En route !

On ouvrit les portes. Les aveugles, se tenant les uns les autres par le pan de l’habit, se mirent en marche en tapotant le sol de leurs bâtons. Nagato, courbant sa taille, fermant les yeux, se mit à leur suite. Je compris que j’en devais faire autant, et je m’y