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De tous cotés la lune se mirait dans des mares d’eau, desquelles s’élevaient les minces épis. La rizière ressemblait à un vaste étang ; de fines brumes blanches flottaient ça et là par nappe tout près du sol et quelques grands buffles noirs couchés moitié dans l’eau dormaient paisiblement.

Nagato ralentit l’allure de son cheval qui haletait, bientôt il lui jeta la bride sur le cou, et, baissant la tête, il se plongea de nouveau dans sa tyrannique rêverie. Le cheval se mit au pas, et le prince, absorbé, le laissa marcher à sa guise.

Nagato revoyait les salles brillantes du palais et la souveraine s’avançant vers lui ; il croyait entendre encore le frisson des étoffes autour d’elle.

— Ah ! s’écria-t-il tout à coup, cette lettre qui a effleuré son sein, elle s’appuie sur mon cœur à présent et me brûle.

Il tira vivement la lettre de sa poitrine.

— Hélas ! il faudra me séparer de cette relique inestimable, murmura-t-il.

Soudain il y appuya ses lèvres. Le contact de cette douce étoffe, le parfum connu qui en émanait firent courir un frisson ardent dans les veines du prince. Il ferma les yeux, envahi par une délicieuse langueur.

Un hennissement inquiet de son cheval le tira de son extase.