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L’USURPATEUR

yeux sur la souveraine qui l’accompagnait du regard. Mais la draperie retomba et l’adorable vision disparut.

Les pages conduisirent Ivakoura dans un des palais réservés aux princes souverains de passage à Kioto. Heureux d’être seul, il s’étendit sur des coussins, et tout ému encore se plongea dans une rêverie délicieuse.

— Ah ! murmurait-il, quelle joie étrange m’enveloppe ! je suis ivre. C’est peut-être d’avoir respiré l’air qui l’environnait ? Ah ! terrible folie, désir sans espoir qui me fais si doucement souffrir, combien ne vas-tu pas t’accroître à la suite de cette entrevue inespérée ! Déjà je m’enfuyais d’Osaka, éperdu, pareil à un plongeur à qui l’air va manquer, et je venais ici contempler les palais qui la dérobent aux regards, ou quelquefois l’apercevoir de loin accoudée à une galerie ou traversant au milieu de ses femmes une allée du jardin, et j’emportais alors une provision de bonheur. Mais maintenant j’ai respiré le parfum qui émane d’elle, sa voix a caressé mon oreille, j’ai entendu mon nom vibrer sur ses lèvres. Saurais-je me contenter de ce qui naguère emplissait ma vie ? Je suis perdu, mon existence est brisée par cet amour impossible, et cependant je suis heureux. Tout à l’heure je vais la revoir encore, non plus dans la contrainte d’une audience poli-