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Personne n’a jamais su cela, il le croit du moins. Comme il ne voit jamais que l’échine ployée de ses sujets, il peut croire vraiment qu’il est d’une espèce supérieure et que le commun des hommes marche à quatre pattes. Cependant il trouve qu’on le traite quelquefois comme un enfant. On lui a supprimé son arc et ses flèches parce qu’un jour, tandis que plusieurs délégués du siogoun se prosternaient au pied de son trône, il a décoché une flèche au plus noble d’entre eux. Malgré l’irritation qui quelquefois bouillonne en lui il n’ose pas se révolter ; son inaction, la société perpétuelle des femmes qui seules peuvent le servir, ont amolli son courage, il se sent à la merci de ses ministres, il craint d’être assassiné.

Parfois, cependant, un orgueil immense l’envahit, il sent courir un sang divin dans ses veines, il comprend que la terre n’est pas digne d’être foulée par ses pieds, que les hommes n’ont pas le droit de contempler sa face, et il songe à rendre plus épais encore les voiles qui le séparent du monde. Puis, l’instant d’après, il s’imagine que le parfait bonheur serait de pouvoir courir librement sur les montagnes, de travailler en plein air, d’être le dernier des hommes ; il est pris alors d’un vague désespoir, il gémit, il se plaint. Mais on lui persuade que sa tristesse n’est