Page:Gautier - L’Usurpateur, tome 1.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
LE BOIS DE CITRONNIERS

— Ô disque pur de la lumière ! s’écria-t-elle, il ne me croit pas ! Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent n’est rien. Voici l’obstacle terrible et je n’y avais pas songé. On écoute la voix du grillon qui annonce la chaleur, on prête l’oreille à la grenouille qui coasse une promesse de pluie ; mais une jeune fille qui vous crie : Prends garde ! j’ai vu le piège, la mort est sur ton chemin ! on ne l’écoute pas et on marche droit au piège. Cependant, cela est impossible, il faut que tu me croies. Veux-tu que je me tue à tes pieds ? Ma mort serait un gage de ma sincérité. D’ailleurs, quand même je me serais trompée, que t’importe ! tu peux toujours ne pas aller à la fête. Écoute, je viens de loin, d’une province lointaine ; seule sous la lourde angoisse de mon secret, j’ai déjoué les espions les plus subtils, j’ai vaincu mes terreurs et dominé ma faiblesse. Mon père me croit en pèlerinage à Kioto, et tu vois : je suis dans ta ville, dans l’enceinte de tes palais. Cependant les sentinelles sont vigilantes, les fossés larges, les murailles hautes. Vois, mes mains sont en sang, la fièvre me brûle. Tout à l’heure j’ai cru ne pas pouvoir parler tant mon cœur affaibli frémissait de ta présence et aussi de la joie de te sauver. Mais maintenant j’ai le vertige, j’ai de la glace dans le sang : tu ne me crois pas !