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— Il est une religion qui dit que non, murmura Fidé-Yori.

— Celle des bonzes d’Europe ! celle dont tu as embrassé la doctrine d’après la rumeur publique, dit Nagato en tâchant de lire dans les yeux de son ami.

— J’ai étudié cette doctrine, Ivakoura, dit le siogoun, elle est touchante et pure et les prêtres qui renseignent se montrent pleins d’abnégation. Tandis que nos bonzes ne cherchent qu’à s’enrichir, ceux-là méprisent les richesses. Et puis, vois-tu, je ne puis oublier la scène terrible à laquelle j’assistai autrefois, ni le courage sublime des chrétiens subissant les horribles tortures que mon père leur fit appliquer. J’étais enfant alors, on me fit assister à leur supplice pour m’enseigner, disait-on, comment il fallait traiter ces gens-là. C’était près de Nakasaki, sur la colline. Ce cauchemar troublera toujours mes nuits. Des croix étaient plantées sur les pentes en si grand nombre, que la colline semblait couverte d’une forêt d’arbres morts. Parmi les victimes, auxquelles on avait coupé le nez et les oreilles, marchaient trois jeunes enfants, il me semble les voir encore, défigurés, sanglants, qui montrèrent une intrépidité étrange devant la mort. Tous les malheureux furent attachés sur des croix et on leur perça le corps avec des lances ; le sang ruisselait,