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L’ORIENT.

répondras-tu à ces figures au jour du jugement dernier, lorsqu’elles te demanderont une âme ? » En Algérie, beaucoup d’Arabes ont la croyance que tout homme dont on fait le portrait meurt inévitablement dans l’année. Mais l’art est plus fort que les préceptes antihumains d’un illuminé ou d’un fanatique plus ou moins consciencieux ; ce désir si naturel de faire une création dans la création ne peut être arbitrairement supprimé. L’idéal tourmente des natures même les plus grossières. Le sauvage qui se tatoue, se barbouille de rouge ou de bleu, se passe une arête de poisson dans le nez, obéit à un sentiment confus de la beauté. Il cherche quelque chose au delà de ce qui est ; il tâche de perfectionner son type, guidé par une obscure notion d’art : le goût de l’ornement distingue l’homme de la brute plus nettement que toute autre particularité. Aucun chien n’a l’idée de se mettre des boucles d’oreilles, et les Papous stupides, qui mangent de la glaise et des vers de terre, s’en font avec des coquillages et des baies colorés.