Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

taine d’années environ, à peine majeur à coup sûr, l’air doux, modeste et timide d’une vierge ; il était de petite taille, mais robuste comme le sont généralement les sculpteurs, habitués à lutter contre la matière. Il avait des cheveux châtain foncé qu’il portait séparés par deux raies sur les tempes et relevés en pointe au-dessus du front comme la flamme qui couronne les génies, ou le toupet caractéristique de Louis-Philippe. Cette coiffure qui semblerait étrange aujourd’hui, dessinait un beau front blanc satiné de lumière, sous lequel brillaient deux prunelles d’un noir velouté, nageant dans le fluide bleu de l’enfance et d’une incomparable douceur. De légères moustaches, une fine royale donnaient de l’accent au masque, dont la mâchoire inférieure un peu proéminente indiquait une volonté tenace ; mais ce qui désolait du Seigneur, c’était l’extrême fraîcheur de son teint véritablement « pétri de lis et de roses, » suivant la vieille formule classique.

Il était de mode alors dans l’école romantique d’être pâle, livide, verdâtre, un peu cadavéreux, s’il était possible. Cela donnait l’air fatal, byronien, giaour, dévoré par les passions et les remords. Les femmes sensibles vous trouvaient intéressant, et, s’apitoyant sur votre fin prochaine, abrégeaient pour vous l’attente du bonheur pour qu’au moins vous fussiez heureux en cette vie. Mais une santé vermeille éclairait cette douce et charmante physionomie qui essayait vainement de s’attrister. N’a pas l’air de lord Ruthven qui veut.