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étincelle de vie dans ce masque d’une immobilité orientale.

Une barbe fine, soyeuse, touffue, parfumée au benjoin, soignée comme une barbe de sultan, encadrait de son ombre noire ce pâle et beau visage. Une barbe ! cela semble bien simple aujourd’hui, mais alors il n’y en avait que deux en France : la barbe d’Eugène Devéria et la barbe de Petrus Borel ! Il fallait pour les porter un courage, un sang-froid et un mépris de la foule vraiment héroïques ! Entendez bien, non pas des favoris en côtelettes ou en nageoires, ni une mouche, ni une royale, mais une barbe pleine, entière, à tous crins ; quelle horreur !

Nous admirions, nous autres imberbes ne possédant qu’une légère moustache aux commissures des lèvres, cette maîtresse toison : nous avouons même que nous, qui n’avons jamais rien envié, nous en avons été jaloux bassement, et que nous avons essayé d’en contre-balancer l’effet par une prolixité mérovingienne de cheveux. Petrus portait les siens très-courts, presque en brosse, pour laisser toute l’importance à sa barbe. Nous pouvions donc chercher de ce côté-là quelque chose de nouveau, de singulier et même d’un peu choquant.

La présence de Petrus Borel produisait une impression indéfinissable dont nous finîmes par découvrir la cause. Il n’était pas contemporain ; rien en lui ne rappelait l’homme moderne, et il semblait toujours venir du fond du passé, et on eût dit