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Alfred de Musset, qui donnait son allure à bien des talents, il y a quelques années, ne semble plus influencer beaucoup la génération présente. Les jeunes poètes le trouvent trop incorrect, trop lâché, trop pauvre de rimes, et pourquoi ne pas le dire, trop sensible, trop ému, trop humain en un mot. Le calme est à la mode aujourd’hui. Quelques nouvelles Fleurs du Mal, de Baudelaire, s’épanouissent bizarrement au milieu de ce bouquet comme des roses noires, et se distinguent au premier flair à leur parfum vertigineux. Le Jet d’eau, la Malabaraise, Bien loin d’ici, les Yeux de Berthe montrent que le poëte de l’horreur, qui a « doté le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre et créé un frisson nouveau, » est aussi, quand il veut, le poëte de la grâce, non pas, il est vrai, de la grâce molle et vague, mais de la grâce étrange, mystérieuse et fascinatrice qui peut séduire des esprits raffinés.

Cette époque, où la poésie tient en apparence si peu de place, est, au contraire, tellement encombrée de poètes, ou tout au moins de versificateurs habiles, qu’il faudrait, pour les citer tous, des dénombrements plus longs que ceux d’Homère, de Rabelais ou de Cervantes, quand don Quichotte désigne à Sancho Panza les illustres paladins qu’il croit apercevoir, à travers la poussière, dans l’armée des moutons.

Un des plus nouveaux venus de cette jeune troupe est Sully-Prudhomme, et déjà il se détache du milieu de ses compagnons par une physionomie aisé-