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Quoiqu’il aime Paris comme l’aimait Balzac, qu’il en suive, cherchant des rimes, les ruelles les plus sinistrement mystérieuses à l’heure où les reflets des lumières changent les flaques de pluie en mares de sang, et où la lune roule sur les anfractuosités des toits noirs comme un vieux crâne d’ivoire jaune, qu’il s’arrête parfois aux vitres enfumées de bouges, écoutant le chant rauque de l’ivrogne et le rire strident de la prostituée, ou sous la fenêtre de l’hôpital pour noter les gémissements du malade dont l’approche d’une aurore blafarde comme lui avive les douleurs, souvent des récurrences de pensée le ramènent vers l’Inde, son paradis de jeunesse, par une percée de souvenir ; on aperçoit comme aux féeries, à travers une brume d’azur et d’or, des palmiers qui se balancent sous un vent tiède et balsamique, des visages bruns, aux blancs sourires, essayant de distraire la mélancolie du maître.

Si les artifices de la coquetterie parisienne plaisent au poëte raffiné des Fleurs du mal, il ressent une vraie passion pour la singularité exotique. Dans ses vers dominant les caprices, les infidélités et les dépits, reparaît opiniâtrement une figure étrange, une Vénus coulée en bronze d’Afrique, fauve, mais belle, nigra sed formosa, espèce de madone noire dont la niche est toujours ornée de soleils en cristal et de bouquets en perles ; c’est vers elle qu’il revient après ses voyages dans l’horreur, lui demandant sinon le bonheur, du moins l’assoupissement et l’oubli. Cette sauvage maîtresse, muette et sombre comme un