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nos admirations ne sont plus ; notre idéal a fui.

Il nous faut chercher un autre milieu, faire de nouvelles connaissances, accoutumer nos yeux à des visages inconnus, trouver d’autres gloires, inventer des talents, prendre la jeunesse où elle est, admirer ce qui vient, tâcher de lire les livres qu’on imprime, d’écouter les pièces qu’on joue ; en un mot, refaire de fond en comble le mobilier de notre vie. C’est le train du monde, et l’on aurait tort de s’en plaindre. Chaque flot luit un moment sous le rayon et puis rentre dans l’ombre. Heureuse encore la vague qui reçoit le reflet de lumière ! Mais avec quelque courage qu’on s’enfonce dans le mystérieux avenir, on ne peut se défendre d’un mélancolique retour sur soi-même, à chacune de ces morts qui diminuent le nombre des témoins et des compagnons de notre passé ; on songe avec effroi qu’on va bientôt être comme un étranger, dont personne ne sait l’origine et les antécédents, parmi la génération actuelle ; un douloureux sentiment de solitude s’empare de votre âme, et l’on se dit que peut-être on eût bien fait de s’en aller avec les autres.

L’illustre tragédienne repose sur la colline aux arbres verts, ayant pour linceul le manteau noir de Rodogune qu’elle portait à sa représentation d’adieu. Ainsi un soldat tombé dort dans son manteau de guerre.

(Moniteur, 14 janvier 1867.)