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Nous n’avons connu mademoiselle Georges qu’après 1830, et pour ainsi dire dans la phase moderne de son lalent. Quoique dès lors elle eût passé l’âge qu’on appelle jeunesse pour les autres femmes, elle était de la plus étonnante beaulé. C’est toujours avec éblouissement que nous nous rappelons le sourire par lequel elle ouvrait le second acte de Marie Tudor, à demi couchée sur une pile de carreaux, vêtue de velours nacarat à crevés de brocart d’argent, sa main royale effleurant les cheveux bruns de Fabiano Fabiani agenouillé. Son profil nacré se découpait sur un fond d’une richesse sombre ; elle étincelait, elle nageait dans la lumière ; elle avait des fulgurations de beauté, des élancements d’éclat, et représentait comme dans un rêve la puissance enivrée par l’amour. Avant qu’elle eût dit un mot, des tonnerres d’applaudissemenis qui ne pouvaient s’apaiser retentissaient du parterre au cintre.

Comme elle était belle aussi dans Lucrèce Borgia, quand elle se penchait sur le front de Gennaro, endormi, et avec quelle fierté terrible elle se redressait sous le foudroiement d’insultes lorsque son masque arraché trahissait son incognito ! On voyait, à travers la lividité de sa colère impuissante, luire comme une réverbération d’enfer le projet de quelque épouvantable vengeance. De quel ton elle disait au duc, dans la scène des flacons : « Don Alfonse de Ferrare, mon quatrième mari ! » Et ce rugissement de tigresse quand, au dernier acte, elle montrait leurs cercueils à ses convives empoisonnés ! « Vous m’avez donné