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cile de la railler que de la soulever, cette bonne lame de Tolède ! Plusieurs l’ont essayé qui l’ont laissée tomber à terre piteusement, car il faut, pour la manier, un grand souffle, une haute taille et un bras vigoureux. Ce temps fut le beau temps de Bocage. Il luttait de talent avec le génie de Frédérick, la passion de madame Dorval, la majesté épique de mademoiselle Georges, et il ne fut inférieur à aucun de ces redoutables partenaires : les rôles créés par lui restèrent marqués à son sceau, nul ne put y effacer son empreinte ; et naguère, quand on reprit la Tour de Nesle à la Porte-Saint-Martin, Bocage, le vieux Bocage, comme on disait, montra que le vrai Buridan était à Belleville.

Pendant sa seconde période, Bocage créa avec beaucoup de succès le rôle de Brute dans la Lucrèce de Ponsard. Malgré le mérite de la pièce, le talent qu’il y déploya, le succès qu’il y obtint, l’acteur romantique par excellence était sorti de son élément naturel. Mais ce n’était pas sa faute ; le public français, qui n’accepte l’art qu’à son corps défendant, commençait à être las de passion, de lyrisme et de poésie. Le grand mouvement shakspearien de 1830 s’arrêtait entravé par d’insurmontables obstacles. Tandis que Lucrèce triomphait, les Burgraves, cette trilogie eschylienne, recevaient le plus froid accueil. Bocage jeta encore un éclat étincelant dans le rôle du major Palmer ; mais, jusqu’à un certain point, il partageait, en ce moment de réaction, la disgrâce de l’école romantique. Le temps