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d’argent pour payer une stalle tous les soirs, s’était engagé comme timbalier dans l’orchestre, où il se démenait avec une singulière frénésie, tapant sur ses timbales comme le roi nègre de Freiligrath tapait sur son tambour, surtout aux entrées tragiques de l’actrice adorée.

La symphonie d’Harold, qu’il composa vers ce temps-là, fut accueillie plus favorablement que ne le furent depuis ses autres œuvres. La Marche de pèlerins qu’elle renferme fut redemandée et obtint le même succès que la Marche du Tannhauser aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que ce morceau fût supérieur au reste de l’œuvre, qui contient des beautés de premier ordre ; mais le rhythme obligé d’une marche rend l’idée musicale plus sensible aux oreilles, qui ont besoin qu’on leur scande les vers d’un poëme et qu’on leur batte la mesure d’une partition.

Si Berlioz comptait un grand nombre de négateurs et de détracteurs, il avait un partisan dont on ne pouvait l’accuser la compétence, Paganini, ce diable et cet ange du violon, qu’on accusait d’avoir enfermé l’âme d’une maîtresse dans le cercueil sonore de son instrument. L’inimitable et fantastique virtuose, qui faisait croire à la puissance des incantations, admirait passionnément Berlioz, et lui, l’avare, dont on racontait des légendes à faire trouver Harpagon prodigue, devenu généreux comme un roi d’Asie, envoyait à l’artiste vingt mille francs en reconnaissance du noble plaisir que cette œuvre lui avait causé.