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Quel temps merveilleux ! Walter Scott était alors dans toute sa fleur de succès ; on s’initiait aux mystères du Faust de Gœthe, qui contient tout, selon l’expression de madame de Staël, et même quelque chose d’un peu plus que tout. On découvrait Shakspeare sous la traduction un peu raccommodée de Letourneur, et les poëmes de lord Byron, le Corsaire, Lara, le Giaour, Manfred, Beppo, Don Juan, nous arrivaient de l’Orient, qui n’était pas banal encore. Comme tout cela était jeune, nouveau, étrangement coloré, d’enivrante et forte saveur ! La tête nous en tournait ; il semblait qu’on entrait dans des mondes inconnus. À chaque page on rencontrait des sujets de compositions qu’on se hâtait de crayonner ou d’esquisser furtivement, car de tels motifs n’eussent pas été du goût du maître et auraient pu, découverts, nous valoir un bon coup d’appui-main sur la tête.

C’était dans ces dispositions d’esprit que nous dessinions notre académie, tout en récitant à notre voisin de chevalet le Pas d’armes du roi Jean ou la Chasse du Burgrave. Sans être encore affilié à la bande romantique, nous lui appartenions par le cœur ! La préface de Cromwell rayonnait à nos yeux comme les Tables de la Loi sur le Sinaï, et ses arguments nous semblaient sans réplique. Les injures des petits journaux classiques contre le jeune maître, que nous regardions dès lors et avec raison comme le plus grand poète de France, nous mettaient en des colères féroces. Aussi brûlions-nous d’aller