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c’est-à-dire n’empruntant rien aux souvenirs ni aux formes de l’antiquité. Les sujets qu’il traita furent relativement modernes, empruntés à l’histoire du moyen âge, à Dante, à Shakspeare, à Gœthe, à lord Byron ou à Walter Scott. C’est à cette période et à cette situation des esprits que remontent la Barque du Dante, la Bataille de Nancy, Marino Faliero, le Combat du giaour et du pacha, le Tasse dans la prison des fous, le Massacre de l’évêque de Liège, le Massacre de Scio, le premier Hamlet, Nous en pourrions citer davantage, mais nous ne faisons pas ici un catalogue, et ce que nous indiquions suffit pour deviner le reste.

Le talent d’Eugène Delacroix avait dès lors toute son originalité et le distinguait nettement des contemporains ; cependant ce serait une erreur de croire qu’il n’empruntât rien du milieu où il baignait. Les grands maîtres à distance semblent isolés, mais ils n’en furent pas moins enveloppés de la vie générale, ils reçurent presque autant qu’ils donnèrent, et firent de larges emprunts à la somme des idées communes en circulation lorsqu’ils vivaient. Seulement ils frappèrent à leur coin ineffaçable le métal fourni par l’époque et en firent des médailles éternelles.

Par sa nature nerveuse, impressionnable, Delacroix, plus que personne, vibrait an passage des idées, des événements et des passions de son temps. Malgré une apparence sceptique, il en partageait les fièvres, il en traversait les flammes, et, comme