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Poterlet brossait ses chaudes esquisses ; Barye hérissait la crinière de son lion ; Préault échevelait son beau groupe de la Misère. Il régnait dans les esprits une effervescence dont on n’a pas idée aujourd’hui : on était ivre de Shakspeare, de Gœthe, de Byron, de Walter Scott, auxquels on associait les gloires naissantes de Lamartine, de Victor Hugo, d’Alfred de Vigny, d’Alfred de Musset ; on parcourait les galeries avec des gestes d’admiration frénétique qui feraient bien rire la génération actuelle.

À l’étude des grands maîtres vénitiens et flamands, dédaignée sous le règne de David, on joignait celle de la nature ; on cherchait le vrai, le neuf, le pittoresque, peut-être plus que l’idéal ; mais cette réaction était bien permise après tant d’Ajax, d’Achilles et de Philoctètes. Camille Roqueplan, sans entrer dans aucun cénacle, épousa de cœur les nouvelles doctrines et se fit bientôt sa place au soleil. — Aux premiers moments de sa fureur contre le poncif classique, la jeune école semblait avoir adopté sa théorie d’art des sorcières de Macbeth sur la bruyère de Dunsinane : « Le beau est horrible, l’horrible est beau. » Roquelan ne prononça pas la formule sacramentelle et resta fidèle à la grâce, dont le romantisme, à ses débuts, fit peut-être trop bon marché. Quand tous voulaient être formidables, gigantesques et prodigieux, il se contenta d’être charmant. Là fut son originalité ; du reste, il se montra, autant que personne, nouveau, inattendu, plein de hardiesse. — Cet éternel moulin de Watelet, battant de