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avait conservé non pas l’horreur du mot propre absolument, mais une pente naturelle à la périphrase. Ses vers, assez amples, pèchent par la monotonie du rhythme, et leur élégance souvent affectée fatigue bien vite. Ce sont de beaux vers dans la bonne et la mauvaise acception du mot, et il ne semble pas avoir tenu compte de ce cri naïf de Talma aux auteurs qui lui apportaient des pièces : « Surtout, pas de beaux vers ! » On n’imagine pas les orages qui éclataient au parterre du Théâtre-Français lorsque le More de Venise, traduit par Alfred de Vigny, redemandait en grinçant des dents ce mouchoir appelé prudemment bandeau dans la vague imitation shakspearienne du bon Ducis. La cloche se nommait l’airain sonore, la mer, l’élément humide ou liquide, et ainsi de suite. Les professeurs de rhétorique restaient atterrés devant l’audace de Racine, qui avait désigné les chiens par leur nom dans le Songe d’Athalie, — molosses eût été mieux ! — et ils invitaient les jeunes poëtes à ne pas imiter cette licence du génie. Le premier qui écrivit cloche fit donc une action énorme : il s’exposait à ne plus être salué par ses meilleurs amis et risquait d’être exclu de partout. Ce sont de ces courages dont on ne sait pas assez gré aux poëtes des périodes crépusculaires, des services qu’on oublie trop vite. Soumet a rendu quelques-uns de ces services, et a ménagé la transition d’un art à l’autre. Son œuvre, qu’on ne lit plus, est considérable et se distingue par de grandes qualités d’imagination, de couleur et d’harmonie ; outre ses