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semble le seul personnage raisonnable de la pièce.

Le quaker, malgré ses excellentes intentions, radote un peu et fait l’effet sur sa chaise d’un patriarche en enfance. Kitty Bell aime chastement un jeune homme qui n’a pas un penny, ne fait que des vers et se promène en gesticulant ou en déclamant, maigre sous son mince habit noir râpé. Aucune femme ne la comprend, et les jeunes filles mêmes la trouvent absurde, elles dont l’idéal descend d’un coupé, en brodequins claqués, en gants de Suède, le cigare aux lèvres et le porte-monnaie bourré de billets et de napoléons. En 1835, cela paraissait tout simple d’aimer Chatterton ; mais aujourd’hui comment s’intéressera un particulier qui ne possède ni capitaux, ni rentes, ni maisons, ni propriétés au soleil, et qui ne veut pas même accepter de place, sous prétexte qu’il a écrit la Bataille d’Hastings, composé quelques pastiches de vieilles poésies en style anglo-saxon, et qu’il est un homme de génie ? Le lord-maire et les jeunes seigneurs en frac écarlate ont paru bien bons enfants de s’occuper de ce sauvage maniaque et de le venir relancer avec cette persistance. On n’y fait pas tant de façons à notre époque, et les lords montent peu l’escalier des mansardes, où les poëtes peuvent du moins mourir de faim en paix, si tel est leur bon plaisir, car du moment que l’on cesse d’être poëte, il faut le dire, la vie redevient possible.

Cependant l’émotion lentement préparée est arrivée enfin, lorsqu’on a vu cette chambre nue et froide,