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lecteur. Que d’efforts il a faits pour rester inconnu ! Fritz, Aloysius Block, lui ont servi tour à tour de masque, et il les a rejetés tous deux lorsque le secret du déguisement a été pénétré ; il lui a pourtant fallu accepter la réputation qu’il fuyait ; dissimuler plus longtemps eût été de l’affectation.

Cette conduite n’était nullement, nous pouvons l’affirmer, le résultat d’un calcul pour irriter la curiosité, mais l’inspiration d’une conscience rare d’un extrême respect de l’art. — Quelque soin qu’il mît à ses travaux, il les trouvait encore trop imparfaits, trop éloignés de l’idéal, et les marquer d’un cachet particulier lui eût semblé une vanité puérile.

Un des premiers il traduisit Faust, et le Jupiter de Weimar, lisant cette version qui est un chef-d’œuvre, dit que jamais il ne s’était si bien compris. — C’était une rude tâche alors de faire passer dans notre langue, rendue timide à l’excès, les bizarres et mystérieuses beautés de ce drame ultra-romantique ; il y parvint cependant, et les Allemands, qui ont la prétention d’être inintelligibles, durent cette fois s’avouer vaincus : le sphinx germain avait été deviné par l’Œdipe français.

De cette familiarité avec Gœthe, Uhland, Bürger, L. Tieck, Gérard conserva dans son talent une certaine teinte rêveuse qui put faire prendre parfois ses propres œuvres pour des traductions de poëtes inconnus d’outre-Rhin. Ce germanisme n’était du reste que dans la pensée, car peu de littérateurs de notre temps ont une langue plus châtiée, plus nette et