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Nous acceptons donc la fantaisie de George Sand, sans lui chercher aucune chicane, et nous ne lui demanderons rien en dehors d’un sujet qu’elle a librement choisi. Nous regretterons seulement que cette excursion sur le domaine de Watteau n’ait pas été heureuse comme nous l’aurions désiré, car nous aimons à voir les grandes intelligences et les noms célèbres s’approcher du théâtre, abandonné aujourd’hui à des habiletés vulgaires.

La réputation de George Sand, comme romancier, est faite depuis longtemps ; une longue série d’œuvres, où brillent de hautes et incontestables qualités, a fait sa gloire européenne une large compréhension de la nature, une chaleureuse conviction, une éloquence entraînante, une passion vraie, un sentiment profond du beau moral et du beau physique, un style limpide et clair, tels sont les mérites qui éclatent dans ses nombreuses productions, qui n’ont pas encore lassé l’avidité du lecteur : Mauprat, Leone Leoni, la Dernière Aldini, André, Jacques, la Mare au Diable, etc., sont présentes à toutes les mémoires, même les plus oublieuses ; mais, par une singulière fatalité ou une étrange aberration qu’on ne s’explique pas, ce vigoureux génie, cette puissante organisation semble se renier à plaisir en abordant le théâtre, et répudier les dons merveilleux dont la nature l’a douée. On dirait que George Sand met sa coquetterie à combattre sans armes comme ces chevaliers dédaigneux qui délacent leur corselet, enlèvent leur casque et brisent leur épée avant d’entrer dans la lice ; Achille, cependant quoiqu’il eût été trempé sept fois dans l’eau du Styx et ne fût vulnérable qu’au talon, se recouvrait de sa cuirasse de buffle bordée de lames de cuivre et d’étain, et passait à son bras ce splendide bouclier dont la description occupe tout un chant d’Homère, lorsqu’il montait sur son char de bataille et allait dans la mêlée provoquer le Troyen Hector. Le public est un adversaire autrement redoutable qu’Hector, et nous ne concevons pas que George Sand, avec un courage que n’avait pas le héros grec, s’expose à la lutte sans sa panoplie.

Quand elle quitte le récit, pour le dialogue, au lieu de se livrer à sa passion, à son ardeur, à son éloquence, à son lyrisme, elle cherche toutes sortes de qualités négatives, contraires à sa nature et à son talent ; elle se fait un parti pris de froideur, de sobriété, qui étonne