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EXCELLENCE DE LA POÉSIE.

que ce soit tout à fait des vers, pour que le livre devienne un poème et la parole un chant, il ne faut plus que la rime. Rien, moins que rien, trois lettres ou même deux au bout de chaque ligne, qu’est-ce que ça ? Barthélemy séparé de Méry, son frère siamois, fait trois cents vers par semaine ; il en ferait six cents au besoin.

Cependant M.  de Chateaubriand, avec son talent biblique, homérique, chevaleresque et royal, n’a jamais pu parvenir à souder convenablement ces trois malencontreuses lettres au bout de sa phrase et a vainement essayé d’ajouter cette pointe aux javelots épiques qu’il décoche de son arc d’argent pareil à celui de Smynthée-Apollon. M.  de Chateaubriand a fait des vers, proh pudor ! des vers mal rythmés, durs et flasques, prosaïques, incorrects, emphatiques, prétentieusement naïfs, des vers d’académie de province !

Sa tragédie de Moïse rappelle en beaucoup d’endroits l’Omasis de Baour-Lormian et l’Abufar de Ducis, et, malgré la profusion orientale de chameaux, de gazelles et de palmiers, n’a rien de biblique que le nom. Les vers sont pour M.  de Chateaubriand ce que sont au soleil les taches noires que les astronomes découvrent avec leur télescope ; le soleil n’en est pas moins le soleil, et M.  de Chateaubriand M.  de Chateaubriand. — Cependant les taches sont des taches, et les mauvais vers sont de mauvais vers,