Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
VOYAGES LITTERAIRES

voisines, qui ignorent leurs mœurs, trouveraient à s’en instruire exactement ici. On fume beaucoup plus de tabac levantin dans nos estaminets qu’en aucun caravansérail d’Orient. On boit plus de thé dans la Chaussée-d’Antin que dans tout le Céleste Empire. Les cabinets des amateurs renferment plus d’ustensiles curieux et de babioles exotiques qu’il ne s’en est jamais fabriqué dans aucun pays. C’est là que les fines Andalouses retrouveraient les dards de guêpe qu’elles ne portent plus, et les Chinoises leurs mignonnes pantoufles, perdues comme celle de Cendrillon. C’est là que les bravi pourraient connaître les longs stylets avec lesquels ils n’ont jamais tué personne ; il n’y a plus que nous qui nous en servions, ou plutôt qui ne nous en servions pas, comme il n’y a plus que nous qui fumions de l’opium ; nous avons déshabillé tout le genre humain pour nous travestir en carnaval.

Nous avons dépouillé tous les bandits des Apennins et leur défroque pend en trophée à nos portemanteaux. Nous avons pris les burnous arabes pour faire des couvre-pieds, des turbans d’Égypte pour faire des rideaux et des résilles d’Espagne en guise de bonnets de coton. Nous coupons notre pain avec des criss de Java, nous portons des amulettes indiennes en breloque de montre, et on danse la cachucha sur nos théâtres et aux bals Musard. Que diable reste-t-il donc aux voyageurs à nous dire ? Que n’ignorons-nous