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VOYAGES LITTERAIRES

merie trop tolérante, la Providence, qui veille sur tous, prend soin de ces enfants prodigues de grand chemin, qui heureusement n’ont jamais rien peint ni rien écrit. Les éléments conjurés mènent ordinairement à mal leurs échappées de la maison paternelle, et leurs impressions se réduisent à la soif, à la faim, le froid, le chaud, et mille autres qu’ils se garderaient d’imprimer. Ils sortent un matin de chez eux, armés de toutes pièces, sac au dos, guêtres aux pieds, et gagnent la rase campagne comme Don Quichotte à sa première sortie dans la plaine de Montiel ; car c’est là le véritable don quichottisme de notre temps ; rien n’y manque, ni les moulins pris pour des géants, ni les pigeonniers pris pour des donjons. À peine en plein air, ils tombent en extase devant ce ciel, bien plus pur que celui des capitales ; après quoi, il se ferait autant de volumes de leurs mésaventures que de celles du bon chevalier. Une première pluie les refroidit. Les œufs pourris d’un cabaret les restaurent peu. Les matelas du roulier les rétablissent mal.

La fatigue leur voile à demi les charmes du paysage, une chute dans un bourbier les leur dissimule totalement. L’argent et l’enthousiasme diminuent peu à peu. L’enthousiasme surtout est sujet à se transformer en sensations plus poignantes. S’ils sont surpris la nuit et égarés dans un marais, ici leur poésie tourne au lugubre et à l’élégiaque ; ils