Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
FUSAINS ET EAUX-FORTES.

rester un jour interdit devant la pensée, n’ayant pas de forme à lui offrir, surprise humiliante, impuissance douloureuse, désastre secret qu’oublie malaisément l’orgueil ! Ces austères études préservent de la banalité, du vague, de l’à peu près par la multitude de tours, de coupes, de dessins, d’harmonies, d’accompagnements, de symétries, d’interséquences et de ressources de toutes sortes qu’elles mettent à la disposition du poète courageux qui s’y est adonné avec une patiente ferveur, ne comptant pas sur son génie seul. Sans elles le côté rare, intime, mystérieux, particulier, inédit de l’idée ne peut être dégagé et mis en lumière. On n’en exprime que le côté trivial, apparent, et déjà rendu par conséquent fruste et à demi effacé. C’est la différence qui existe entre une romance de Blangini et un morceau de Beethoven, entre un dessin de pensionnat improvisé à l’estompe et un rude écorché à la plume de Michel-Ange. Une pareille doctrine contrarie, nous le savons, la vanité poétique qui voudrait, comme les grands seigneurs d’autrefois, faire croire qu’elle sait tout sans avoir rien appris, et joue devant le public badaud la parade de l’innéité générale ; mais nous la développons parce que M. Baudelaire la partage et qu’il lui doit la meilleure partie de son talent. Il a su se garder, en ces temps de production hâtive, de livrer à l’impression ces gourmes de jeunesse, ces scories et ces baves de premières fontes où le morceau bien venu