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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

mes de Jocabed et même le passage de la mer, malgré le petit enfant qui veut montrer à sa mère le caillou qu’il a ramassé, sont des morceaux à détacher et à mettre dans une anthologie.

Saint-Amant fut de l’Académie, et on le dispensa du discours de réception, à charge de s’occuper de la partie grotesque du dictionnaire. C’était pourtant un poète beaucoup plus sérieux que la plupart de ceux qui semblaientlui faire comme une sorte de grâce en l’admettant, car ce n’est pas le genre qui importe en poésie, mais bien le style. Telle pièce grotesque de Saint-Amant, un sonnet comme les Goinfres, par exemple, a plus de valeur et se rattache bien plus à l’art qu’une ode ou qu’un poème d’une platitude correcte. L’auteur de la Solitude, du Contemplateur et de la Chambre du débauché avait l’image, le nombre, la rime, la fougue, le caprice ; il peignait gras, tantôt avec un éclat pourpré à la Rubens, tantôt avec ce ton de hareng fumé verni d’or des peintres hollandais et flamands ; dans la moindre de ses esquisses s’accuse une vie abondante et forte, une plénitude de rime qui témoignent de la plus robuste santé poétique. Un tel tempérament ne devait pas plaire aux secs, aux difficiles, aux malingres, et Saint-Amant, vivement critiqué par un goût méticuleux plus sensible aux défauts qu’aux beautés, tomba peu à peu en désuétude. Il sembla turbulent, grossier et bachique aux puristes incapables de comprendre