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THÉOPHILE DE VIAU.

jaillissait avec une spontanéité surprenante. Sa conversation était pleine de charme et d’imprévu ; les idées hardies et neuves s’y jouaient avec trop d’éclat et de liberté peut-être. Les doctrines littéraires qu’il professe dans ses vers et dans sa prose sont originales et tranchent sur les opinions du temps. Rien de plus moderne, et les novateurs de 1830 n’ont pas mieux dit. Théophile, en cela trop rigoureux sans doute, n’admet pas, chez des chrétiens et dans des sujets qui ne sont pas grecs ou romains, l’emploi des dieux de la Fable ; le fatras mythologique lui paraît pédantesque, suranné et hors de propos ; il ne veut invoquer ni Phœbus ni les nymphes du Permesse ; il plume les ailes du vieil Amour et, se moquant des Iris en l’air, il proclame le nom de Marie comme le plus beau du monde.

Cependant, n’allez pas croire que Théophile bannisse les images, les métaphores et veuille réduire la poésie à n’être que de la prose rimée ; il a le sens trop net et trop droit pour cela. Seulement il veut que la pensée naisse de la cervelle ou du cœur du poète, et que les couleurs dont il la revêt soient prises sur la palette de la nature. Le centon perpétuel de l’antiquité l’ennuie et le dégoûte avec raison ; il affirme que ce n’est pas la peine de ressasser ce qui a été dit beaucoup mieux, il y a quelque deux mille ans, et de sa part ce n’est point le dédain d’un ignorant qui trouve la science trop verte. L’éducation de