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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

l’idée qu’il doit avoir lui ait été envoyée toute faite et sous bande dans son journal, je suis sûr qu’il se dit en lui-même cette phrase d’Alfred de Musset, qui résume si admirablement notre époque :  « Dieu !  vais-je me rendre ridicule ! »

Vous croirez peut-être, d’après cela, que le Français a une grande estime pour ses compatriotes, puisqu’il s’inquiète tant d’eux, qu’il se retranche à cause d’eux jusqu’au plus léger caprice, jusqu’à la plus minime excentricité ? Point : il les méprise, et il a raison mais il les craint, et il a tort. Dans cette perplexité, il se cravate, se culotte, se gante exactement comme vous et moi il va chez votre chapelier prendre la mesure de votre chapeau, la forme et les bords seront juste de la même grandeur ; il se permettrait plus volontiers un vice ou deux qu’un pouce de plus ou de moins ; il copie votre port de tête, votre tic, votre démarche ; il imite votre inflexion de voix, se sert des mots dont vous vous servez il se fait votre singe, votre écho ; il se lève, s’asseoit, salue, sourit (car on ne rit plus) ; il aime, il hait, il mange, il boit, le tout à votre manière à vous, et non à la sienne à lui ; il se donnerait bien garde d’en avoir. Il espère ainsi se mettre à couvert de vous par vous car, malgré le chauvinisme de l’Empire, le Français est naturellement poltron, douteur, irrésolu ; il n’a de courage que l’eau-de-vie et le tambour aidant ; je connais nombre d’honnêtes gens qui ne salueraient