Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
DE L’ORIGINALITÉ EN FRANCE.

contours nets et tranchés, de deux choses il arrive l’une : ou on l’élimine s’il paraît trop fauve pour être apprivoisé, ou quelqu’un de la société (et c’est presque toujours une femme) se charge de le former, c’est le mot ; il est rare qu’elle n’y réussisse pas. D’ailleurs, l’originalité ne se développe que dans la retraite, et le Français n’a pas de chez lui ; il ne comprend pas la poésie du foyer, le bonheur du dedans ; il n’y a pas dans sa maison de recoin interdit où recueillir ses jours dans le calme et l’ombre ; sa vie est toute transparente et percée à jour ; le premier visiteur entre de plain-pied dans son existence domestique et en surprend le secret.

Cela est cause que dans son intérieur même, à peine il ose se laisser aller à sa nature. S’il ôtait le masque d’uniforme, s’il délaçait un peu ce corset de grande représentation, il courrait risque d’être surpris en flagrant délit d’individualité, ce qu’il ne voudrait pas pour un monde : il aurait peur qu’on ne se moquât de lui. — Pour l’éviter, ne pouvant se supprimer ni se rendre invisible, il se lime et se passe à la pierre ponce, enlevant tous les signes caractéristiques qui trahiraient son incognito, à peu près comme au bal de l’Opéra, où tout le monde, par une convention tacite, prend des dominos de même couleur afin de n’être pas reconnu.

Et si un événement inattendu le force, par surprise, à se manifester d’une manière quelconque avant que