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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

et même personnage retourné de toutes les façons imaginables, vu en dessus, en dessous, par les pieds, par la tête, en raccourci, avec tous les aspects de la chute ou de l’ascension. Mais quelle que soit la pose de ce type unique, elle n’est jamais naturelle, dans le sens précis du mot ; ce sont des écartèlements, des tensions de muscles, des bouffissures de contours, des torsions de reins, des renflements de poitrine qui dépassent les dernières limites de l’exagération. Tout ce monde se crispe et se contracte, comme s’il avait l’entablement du ciel sur le coin de l’épaule. Atlas lui-même ne devait pas faire autant renfler ses biceps ; — assurément, aucun de ces gens-là ne mourra de la poitrine.

Nous avons dit que la pensée unique de Buonarroti, c’était de peindre et de sculpter l’homme ; mais l’homme idéalisé, exagéré, élevé jusqu’au Titan. Encelade, Polyphème, Hercule, Prométhée sont des muguets sveltes et mignons à côté des monstrueux portefaix du sculpteur florentin.

Une chose singulière, c’est que tous ces hommes à poitrines colossales ont la tête petite comme des oiseaux, des mains presque imperceptibles et des pieds chinois ; par une négligence étrange, beaucoup de ces pieds n’ônt que quatre doigts ; un tel oubli doit être volontaire, et je pense que c’est pour donner une élégance plus idéale à ces extrémités que l’artiste en agit de la sorte.