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CONSTANTINOPLE.

nent, par leurs amies restées au harem, des secrets politiques dont leurs maris profitent, soit pour obtenir une faveur, soit pour éviter une disgrâce. Épouser une fille du sérail est donc un très-bon calcul pour un ambitieux ou un homme prudent.

L’appartement dans lequel la femme du pacha reçut son invitée était aussi élégant que riche, et contrastait avec la sévère nudité du selamlick, que j’ai décrit dans le chapitre précédent. Une rangée de fenêtres en occupait les trois pans extérieurs, de façon à admettre le plus d’air et de lumière possible ; — une serre donne l’idée la plus juste de ces chambres, où l’on garde aussi des fleurs précieuses. — Un magnifique tapis de Smyrne couvrait moelleusement le plancher ; des arabesques et des entrelacs peints et dorés décoraient le plafond ; un long divan de satin jaune et bleu régnait sur deux faces de la muraille ; un autre petit divan très-bas s’étalait dans un entre-deux de croisées d’où l’on découvrait en plein l’admirable perspective du Bosphore ; des carreaux de damas bleu jonchaient çà et là le tapis.

Dans un angle scintillait, placée sur un plateau de même matière, une grande aiguière de verre de Bohême, couleur d’émeraude, ramagée de dessins d’or ; dans l’autre était placé un coffre de cuir gaufré, historié, piqué et doré, d’un goût charmant, et rappelant, pour l’invention des ornements, ces coffres du Maroc que Delacroix ne manque jamais d’introduire dans ses tableaux de vie africaine. Malheureusement, ce luxe oriental était entremêlé d’une commode en acajou sur le marbre de laquelle pyramidait une pendule recouverte de son globe entre deux vases de fleurs artificielles sous verre, ni plus ni moins que sur la cheminée d’un honnête rentier du Marais. Ces dissonances qui affligent l’artiste se retrouvent dans toutes les maisons turques qui ont des prétentions au bon goût. — Une pièce plus sim-