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C’est Richard le Vieux et son neveu Henri ;
C’est le brave comte de Gascogne, Acelin ;
C’est Thibaud de Reims et son cousin Milon.
Gerier et Gerin y sont aussi,
175Et le comte Roland y est venu avec eux,
Suivi du noble et vaillant Olivier.
Il y a là plus de mille Français de France.
On y voit aussi Ganelon, celui qui fit la trahison.
Alors commence ce conseil de malheur.Aoi.

des héros morts à Roncevaux. Alors, comme ici, son. nom est associé à celui de Milon (t. 2433). C’est à lui qu’est confié, lors de la grande bataille contre Baligant, le commandement du sixième corps (v. 3058).= Ce nom de « Thibaut DE REIMS » a-t-il pénétré dans la légende de Roland à l’époque où régnait le premier comte de Champagne de ce nom (ann. 1063) ? Nous ne le pensons pas, parce que Reims ne faisait point partie du comté de Champagne. = Milun est un de ceux qui sont chargés de conduire sur des carettes les corps d’Olivier, de Turpin et de Roland (v. 2971). Dans les Remaniements du Roland, il est un des messagers que Charles envoie à sa sœur Gilles. 178. Guenes. Ganelon, qui est dans notre poème le type du traître, a-t-il été un personnage historique ? Faut-il voir ici le souvenir encore vivace de ce fameux archevêque de Sens, Wenilo, lequel trahit, pour Louis le Germanique, la cause de Charles le Chauve qui l’avait comblé de bienfaits, et se réconcilia, en 859, avec son bienfaiteur ? Cette assimilation nous paraît aujourd’hui beaucoup plus vraisemblable qu’autrefois. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’an Xe siècle le nom de «Guenes» était déjà l’objet du mépris populaire, et l’auteur du «poème sur saint Léger » donne ce nom au geôlier de son héros. Nous revenons donc sur notre première opinion à ce sujet, et nous ne saurions adopter le système de Hertz et du baron d’Avril, d’après lequel Ganelon dériverait du Hagen des Nibelungen. = Quoi qu’il en soit, Ganelon n’a dans le Roland qu’une vie individuelle, et sa famille n’y est pas constituée à l’état de geste. Il en est à peu près de même de l’Entrée en Espagne, où il est encore montré sous les traits d’un baron courageux et loyal, et de la Prise de Pampeiune, où il est déjà, au contraire, dénoncé comme un traître. C’est à son instigation que, d’après ce poème traditionnel, Basin et Basile sont envoyés comme ambassadeurs à la cour du roi Marsile, et c’est lui qui tente de faire assassiner par les païens un troisième messager, nommé Garon. = Mais quand nos épiques furent atteints de la monomanie cyclique ; en d’autres tenues, quand ils voulurent classer tous leurs personnages en des familles distinctes, ils imaginèrent de faire de Ganelon le fils de Grifon d’Hautefeuille, qui lui-même fut présenté comme le troisième fils de Doon de Mayence. Voilà donc Ganelon installé dans cette geste de Doon qui, avec celles du Roi et de Garin de Montgiane, est une de nos trois grandes Gestes : et de là vient ce nom de Mayençais qui fut donné aux traîtres de nos romans. On ne s’arrêta pus en si beau chemin : l’auteur de Jourdain de Blaives (XIIe siècle) alla jusqu’à créer décidément une quatrième geste, «celle des traîtres », et l’auteur de Parise la duchesse (XIIe siècle) énuméra avec quelque complaisance les « douze traîtres " de la race de Ganelon. Voir Gaufrey, édit. Guessard, v. 3999 et suiv. ; Renaus de Montauban, édit. Michelant, pp. 421-442, etc. Cf. la Note de notre première édition, II, pp.78-80.