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s’y arrêter trop longtemps, et d’en venir bien vite à la troisième. période de cette histoire rapide de notre légende en Espagne. C’est l’époque des Romances. Les unes sont francaises les autres espagnoles d’inspiration. Les unes dérivent de la Cronica general ; les autres, de nos chansons de geste. Ce dernier courant finit par triompher. L’Espagne eut sa « Bibliothèque bleue » qui fut toute remplie de notre gloire, et son livre le plus populaire fut cette Historia del emperador Carlomagno, qui est naïvement empruntée à notre Fierabras. Mais ce long succès de nos romans va prendre fin : car nous sommes en 1603, et voici la première édition de Don Quichotte.

Roland a été célèbre dans l’Église tout entière. Il y a été longtemps vénéré comme un martyr. Son nom se trouve en plusieurs Martyrologes, et les Bollandistes ont dû s’en occuper à deux reprises[1]. Ils l’ont avec raison rejeté du nombre des Saints, mais non sans éprouver un certain regret d’être contraints à cette sévérité. Après avoir justement flétri les fables du faux Turpin, ils s’écrient : « Nous serions heureux de posséder sur Roland des documents plus sûrs. Certiora libenter acciperemus. » C’est une bonne parole de critique chrétien, et nous la répéterons volontiers après les Bollandistes.

Roland a été surtout célèbre dans toute la France. Son nom, son souvenir faisaient en quelque manière partie de la vie publique de nos pères. Toutes les fois que la France était vaincue, on n’entendait que ce cri : " Ah ! si Roland était là ! » Lorsque Raoul de Caen, lorsque cet historien de la première croisade veut rendre hommage à Robert, comte de Flandre, et à Hugues le Grand, il s’écrie : Rolandum dicas Oliveriumque renatos. Et l’on connaît celle histoire mise assez méchamment sur le compte du roi Jean, qui se plaignait de ses chevaliers, et à qui l’on aurait insolemment répondu : Non defuturos Rolandos si adsint Caroli. Le mot n’était pas nouveau. Adam de la Halle l’avait déjà prononcé au siècle précédent, et l’auteur de la Vie du monde lui avait donné sa forme définitive, lorsqu’il avait dit : Se Charles fust en France, encore i fust

  1. Le 31 mai et le 10 juin.