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offrent toujours un certain caractère hypothétique, et que nous nous sommes bien gardé de donner aux couplets ajoutés par nous leur place officielle dans la Chanson de Roland. Nos lecteurs seront libres d’en faire complètement abstraction, et ceux qui préfèrent le manuscrit d’Oxford à toutes les autres rédactions n’auront qu’à ne pas lire les vers ou les couplets imprimés en italiques[1].


II. Langue.

Le Roland a été, suivant nous, composé en Angleterre par un poète qui y était venu à la suite de Guillaume le Conquérant, et qui parlait la langue des vainqueurs. (V. notre Introduction, chap. v.) = Cette langue était le dialecte normand, où avaient cependant pénétré quelques habitudes, quelques courants de dialecte français. — Mais le scribe du manuscrit d’Oxford était anglo-normand, et a défiguré, le dialecte du poème original. = Ce qu’il est particulièrement nécessaire de rappeler ici, c’est que l’anglo-normand n’est pas un dialecte spécial, mais qu’il y faut voir seulement la corruption du dialecte normand. — Nous nous sommes proposé de ramener la Chanson de Roland à la pureté du dialecte normand, ou, en d’autres termes, comme nous l’a écrit M. Théodor Müller, « de restituer la Chanson de Roland normande, si misérablement défigurée sous la recension anglo-normande du manuscrit d’Oxford. »

Or les deux principaux caractères des textes anglo-normands, c’est l’altération des règles de la déclinaison romane, et c’est la confusion des notations ié et é. = Nous avons voulu déblayer le terrain, et nous débarrasser, tout d’abord, de ces deux défauts qui viciaient presque tous les vers du Roland d’Oxford. = A cet effet, nous avons partout observé les règles de la déclinaison romane, et, en nous aidant notamment d’une « Table complète des assonances de notre poème », nous avons partout distingué les notations é et ié. = Cette même Table des assonances nous a permis de rétablir partout, dans le corps comme à la fin des vers, toutes les autres notations fournies par ces assonances. = Notre texte, ainsi dégagé de ses vices anglo-normands, a été par nous repris en sous-œuvre, et nous avons relevé un à un et groupé tous les faits de phonétique, de grammaire et de versification qui se produisent dans le manuscrit d’Oxford ; puis, nous en avons tiré les lois que nous avons partout observées. = Nous nous sommes éclairé, au besoin, des textes qui appartiennent évidemment au même dialecte et dont la date se rapproche le plus de celle du Roland. = Cette correction phonétique et grammaticale n’a pas été notre seul but, et nous avons en outre voulu, pour une œuvre aussi classique que le Roland, en arriver à l’unité de notation orthographique. — Les couplets que nous avons dû ajouter au texte d’Oxford (d’après Venise IV et les remaniements) ont été par nous ramenés au dialecte normand et à l’unité orthographique. = Comme nous citons, dans tout le cours de ce volume, les leçons de Venise IV et celles des remaniements, le lecteur sera sans doute heureux de savoir où il en trouvera le texte. Le manuscrit de Venise a été publié par Conrad Hoffmann (mais

  1. Voici, en quelques propositions, l’histoire des différents textes français du Roland où nous avons puisé nos leçons : 1 ° Le manuscrit original, qui n’est point parvenu jusqu’à nous, avait été écrit en Angleterre durant le dernier tiers du XI° siècle. = 2° Un certain nombre de copies, plus ou moins exactes ou défectueuses, ont été exécutées d’après cet original aujourd’hui disparu. — 3° L’une d’elles, déjà viciée et par conséquent distincte de l’original, a donné lieu aux deux manuscrits d’Oxford et de Venise IV. Le premier de ces deux textes a été transcrit en Angleterre, durant la seconde moitié du XII° siècle, par un scribe inintelligent et peu soigneux. Le second a été exécuté, vers 1230, par un jongleur italien qui exploitait alors le nord de l’Italie avec nos chansons de geste et qui prenait soin de les adapter à la langue de ses auditeurs. = 4° Ce pendant, d’après une autre copie plus ou moins directe du Roland original, un jongleur inconnu, qui vivait sans doute sous le règne de Philippe-Auguste, avait écrit le manuscrit prototype du Roncevaux. = 5° Ce Roncevaux prototype se composait des éléments suivants : a. environ quatre mille vers assonances empruntés textuellement à la version primitive ; b. un dénouement nouveau, en vers rimés, consacré au récit de la fuite de Ganelon, de la douleur de Gilnin, de la mort d’Aude, etc. = 6° C’est d’après ce prototype plus ou moins altéré et que (sauf un certain nombre de vers et de couplets primitifs) l’on en vint un jour à rimer entièrement) c’est d’après ce Roncevaux original qu’ont été rédigés les divers remaniements de notre poème qui nous ont été conservés et qui forment les trois groupes dont nous avons parlé ci-dessus : a. Paris. Lyon. Lorrain. b. Versailles. Venise VII, c. Cambridge. = 7° Y a-t-il eu relation de famille entre le groupe Oxford-Venise IV, d’une part, et, de l’autre, le groupe Roncevaux ? M. W. Foerster, dans son tableau de filiation, semble résoudre la question dans le sens de la dualité absolue, en faisant observer toutefois que l’auteur du manuscrit de Paris ou ses prédécesseurs « ont employé un manuscrit a en même temps, qu’un manuscrit y ». = 8° Nous nous en tenons, jusqu’à nouvel ordre, au tableau de M. W. Foerster et à son observation sur la double origine du texte de Paris.