Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XIVe et xve siècles, les auteurs des deux Spagna en vers[1] et des trois Spagna en prose[2] qui sont parvenues jusqu’à nous. Il est aujourd’hui prouvé que les vers ont ici précédé la prose. Si médiocre, d’ailleurs, que soit la Spagna rimée qui est faussement attribuée à Sostegno di Zanobi, c’est un poème, et ce poème va devenir le prototype de toute l’Épopée italienne.

D’autres poètes surgissent, en effet ; mais, ceux-là, vigoureux et originaux. Il regardent autour d’eux et cherchent un sujet, un héros d’épopée. La Spagna frappe leurs oreilles et leurs yeux : « Roland ! s’écrient-ils, il n’y a que Roland ! » Et Pulci publie, en 1485, son Morgante maggiore ; et l’Aretin son Orlandino, auquel il prend soin de ne pas donner de date ; et l’Arioste, en 1516, son Orlando furioso. Toujours Roland, partout Roland. Certes, ce ne sont plus là des épopées populaires et spontanées. Les amours ardentes, les petites jalousies, le grand style ruisselant et coloré de l’Arioste ne ressemblent guère à la simplicité mâle et à la farouche chasteté du Roland. Mais enfin c’est là notre légende, ce sont là nos grandes figures nationales, et l’Arioste eût en vain cherché des héros italiens dont la célébrité fût comparable à la gloire d’un Charlemagne. ou à celle d’un Roland.

Roland a été célèbre en Espagne. L’Espagne, elle aussi, fut longtemps traversée par des jongleurs qui avaient la bouche pleine des noms de Charles et de son neveu, et qui racontaient à la française cette légende très française. Mais, de très bonne heure, une réaction se produisit là-bas contre ces récits qui parurent, à la fin, trop glorieux pour la France, trop oublieux du nom espagnol. La passion s’en mêla ; la jalousie nationale éclata. De là, ces légendes toutes neuves qui ont trouvé place, au XIIIe siècle, dans la Cronica general d’Alfonse X et dans la Chronica Hispaniae de Rodrigue de Tolède. Celui-ci raconte ingénument que Roland fut défait à Roncevaux par Bernard del Carpio, et Alfonse X ajoute que Bernard était l’allié des Infidèles. Tel est le Roncevaux espagnol. Il est bon de ne pas

  1. La Spagna istoriata proprement dite, et la Rotta di Roncisvalle.
  2. La Spagna de la Bibliothèque Albani découverte par M. Ranke ; celle de, la Bibliothèque Medicis, mise en lumière par M. Rajna ; celle de la Bibliothèque de Pavie, publiée par M. Ceruti et qui est intitulée « il Viaggio in Ispagna. »