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récemment traduit en cette langue. Si vous allez jamais à Reïkiavik, demandez au libraire la Kronike om Keiser Karlamagnus, et donnez-vous la joie, errant dans ce pays, d’entendre le nom de Roland sur les lèvres d’un paysan islandais.

Roland a été célèbre en Angleterre, et il existe un Roland en vers anglais du XIIIe siècle. On en sera d’autant moins surpris que l’Angleterre est sans doute le pays où fut écrit notre vieux poème par un Normand, qui était venu peut-être à la suite des envahisseurs de 1066. De toutes les excursions de notre légende, voilà celle qui s’explique le plus aisément. Nous l’avons vue, d’ailleurs, et nous allons la voir faire de plus lointains voyages.

Roland a été célèbre en Italie. Les traditions sur Charlemagne et sur Roland ne s’y répandirent tout d’abord qu’oralement. Mais bientôt les monuments figurés, les pierres se mirent à parler, et l’on connaît ces statues de Roland et d’Olivier qui sont grossièrement sculptées au porche de la cathédrale de Vérone. L’Italie, alors, toute l’Italie est, à l’égal de la France, parcourue par des jongleurs de gestes. Ils s’arrêtent sur les places de ces belles villes, sur ces places tout entourées de grands palais féodaux ; ils y font retentir leurs vielles et chantent les héros français : Olivier, Roland, Charlemagne. La foule s’attroupe autour d’eux, frémissante. Des héros italiens on ne sonne mot : la France et ses chevaliers suffisent alors et suffisent largement à alimenter l’enthousiasme de toute l’Europe. Toutefois, ce n’est encore là que la première période de cette curieuse histoire de notre légende en Italie : il faut en venir à des documents écrits. Et voici, au XIIIe siècle, l’époque de ces romans franco-italiens dont nous trouvons aujourd’hui les types les plus parfaits à la bibliothèque Saint-Marc de Venise. La légende de Roland, en ces poèmes étranges, est formée de trois éléments : une Entrée en Espagne, de Nicolas de Padoue ; notre ancien poème, avec certains mélanges du Turpin, et le Roncevaux, représenté par le dénouement du manuscrit IV de Venise. L’Italie, du reste, ne se borna point à faire un succès à des chansons françaises plus ou moins italianisées : leur popularité exigea davantage. Il fallut les traduire en italien, en véritable italien, et c’est ce que tentèrent, aux