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son courage. Son duel avec Renaud est des plus touchants. Renaud, qui n’a jamais eu le cœur d’un rebelle, le supplie de le réconcilier avec Charles, et va jusqu’à se mettre aux genoux de Roland qui pleure. (Ibid., p. 230.) Aussi notre héros se refuse-t-il plus tard à tuer de sa main le frère de Renaud, Richard, qui est devenu le prisonnier de Charles : « Suis-je donc l’Antéchrist, pour manquer ainsi à ma parole ? Malheur à qui pendra Richard ? » (Ibid., pp. 261-267.) Et il dit encore : « Je ne veux plus m’appeler Roland, mais Richard, et je serai l’ami des fils d’Aymon. » Comme on le voit, rien n’est ici plus noble que le rôle du neveu de Charles : il efface celui de l’Empereur.

C’est à Vannes que Girart d’Amiens, dans son Charlemagne (commencement du XIVe siècle), place les débuts de Roland. L’enfant se jette en furie sur les veneurs de son oncle, qui ne le connaît pas encore. On l’amène devant l’Empereur : nouvelles brutalités. Charles le reconnaît à ce signe, et tout finit bien. (B. N. 778, f° 110-112.) Cf. les Reali di Francia, la Karlamagnus Saga, et les vers si précieux de notre Roland qui sont relatifs au val de Maurienne et à l’épée Durendal.


III. Vie et exploits de Roland jusqu’à sa mort à Roncevaux.

Le père de Roland était mort durant l’expédition de Charles dans la Petite-Bretagne. (Acquin, poëme de la fin du XIIe siècle, B. N. 2233, f° 18, r° et v°.)

Roland fut un de ceux qui accompagnèrent le grand empereur dans ce fameux voyage à Constantinople, qui commença de d’une façon si auguste et s’acheva d’une manière si ridicule. Tout au moins s’y conduisit-il plus noblement que son ami Olivier. Lorsque les douze Pairs se livrent à leurs vantardises, son gab est encore le moins odieux : « Je soufflerai sur la ville et produirai une tempête. (Voyage de Charlemagne, poëme du XIIe siècle, vers 472-485.)

Dans Jehan de Lanson, Roland prend part à cette singulière ambassade en Calabre, qui est égayée par les enchantements et les plaisanteries de Basin de Gênes. Son épée, sa Durendal, est, comme celle de tous les Pairs, volée par le traître Alori. (Bibl. de l’Arsenal, B. L. F. 186, f° 121.) Pour se venger, Roland consent à une assez misérable comédie : il contrefait le mort, on l’enferme dans une bière, et il pénètre ainsi dans le château de Lanson, dont les Français parviennent à s’emparer. (B. N. Fr. 2495, f° 4-5.) Les aventures de Roland, dans le reste de ce pauvre poëme, se confondent avec celles des douze Pairs.

Dans Otinel, son rôle est plus beau. Il lutte avec le géant païen. Une colombe sépare les deux combattants, et, désarmé par ce miracle, Otinel se convertit. (Otinel, poëme du XIIIe siècle, vers 211-659.)

C’est dans l’Entrée en Espagne (XIIIe-XIVe siècle) que la place de Roland devient tout à fait la première : Roland suit son oncle dans cette fameuse expédition, qui doit pour lui se terminer à Roncevaux. C’est lui qui, après les onze autres Pairs, lutte contre le géant Ferragus. (Ms. français de Venise, XXI, f° 17-32.) Ce combat est plus long que tous les autres, et les adversaires y luttent autant de la langue que de l’épée, théologiens autant que soldats. Ferragus s’entêtant dans son paganisme, Roland le tue. (Ibid., f° 32-79.) Une grande bataille s’engage alors sous les murs de Pampelune, et Roland y prend part. Dans la mêlée brille le courage du jeune Isoré, fils du roi Malceris : Isoré est fait prisonnier, mais ne consent à se rendre qu’à Roland. (Ibid., f° 10-105.) Charles,