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la France. Et ils ne s’en tinrent pas là. Un poète connu sous le nom de Stricker — ce nom signifie sans doute « rapsode » ou « arrangeur » — écrivit vers 1230 son Karl, qui est au Ruolandes-Liet ce que nos remaniements sont à notre ancien poème. Ce n’est pas tout encore : un compilateur germain du XIVe siècle, l’auteur du Karl-Meinet, a fait entrer, dans sa vaste compilation, un autre remaniement de Roncevaux. Cependant, sur toutes les places des villes de la Basse-Saxe et ailleurs encore, se dressaient ces fameuses statues de Roland, ces Rolandssaülen qui ne représentent pas exactement notre héros, mais qui n’en attestent pas avec moins d’éloquence sa popularité très glorieuse.

Roland a été célèbre dans tous les pays néerlandais. L’autre jour M. Bormans publiait quatre fragments de poèmes « thiois » des XIIIe et XIVe siècles, où il n’hésite pas à voir une œuvre originale, mais où il est aisé de reconnaître une imitation servile de notre vieille chanson. Un petit livre néerlandais du XVIe siècle, la Bataille de Roncevaux, répond bien à ces misérables versions en prose du Roland qui pullulent dans nos manuscrits et dans nos incunables. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, sans doute ; mais c’est l’irrécusable preuve d’une popularité très sincère, très étendue et très profonde.

Roland a été célèbre dans tous les pays Scandinaves. La Karlamagnus Saga est une vaste compilation islandaise du XIIIe siècle, qui est empruntée littéralement à nos plus anciennes et à nos meilleures chansons de geste. Or, cette œuvre se divise en dix branches, et notre chanson forme la huitième. Jusqu’à la mort du comte Roland, le compilateur islandais ne fait que suivre très servilement le texte primitif du vieux poème français, d’après un manuscrit fort semblable à celui d’Oxford. Mais, en cet endroit de son récit, il a trouvé sans doute que son modèle devenait un peu long, et il l’a vigoureusement abrégé. Quoi qu’il en soit, la Saga conquit un rapide et incomparable succès. Un auteur danois du xve siècle la résuma à l’usage du peuple en s’aidant de quelques autres poèmes français. De là cette Keiser Karl Magnus kronike qui circule encore aujourd’hui dans les campagnes danoises. Rien n’égale la vogue de ce petit livre, dont une édition nouvelle vient de paraître à Copenhague, et qui, jadis imité de l’islandais, a été