Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marsile ; c’est lui qui fait choix de Ganelon comme ambassadeur ; c’est lui qui, sur l’avis de ce traître, confie l’arrière-garde à Roland. Puis, dans la seconde, partie de la Chanson, il cède ou paraît céder toute la place à son neveu, afin de nous faire assister uniquement aux derniers exploits, à l’agonie et à la mort de Roland. Mais encore voyons-nous Charles prendre de loin sa part à ce martyre et accourir, terrible, pour le venger. Il est d’ailleurs, et il est tout seul le héros de la troisième partie. Il s’y fait le vengeur de Roland sur les Sarrasins d’abord, et ensuite sur’ Ganelon. À la défaite de Marsile et de Baligant succède le châtiment du traître, et le grand empereur, promenant autour de lui ses regards apaisés par tant de représailles, s’apprête enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d’un ange se fait entendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les païens[1]

  1. Le document dont il faut tout d’abord rapprocher le Roland, c’est la » Chronique de Turpin ». M. G. Paris a établi (comme nous avons déjà eu lieu de le dire plusieurs fois) que les chapitres I-v sont l’oeuvre d’un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du XIe siècle, et que les chapitres VI et suivants, dus sans doute à un moine de Saint-André de Vienne, n’ont été écrits qu’entre les années 1109-1119. = D’après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit un jour dans le ciel une « voie d’étoiles » qui s’étend de la mer de Frise jusqu’au tombeau de saint Jacques en Galice. L’Apôtre lui-même se fait voir à l’Empereur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la route est profanée par les infidèles. Charles obéit ; il part. (Cap. II.) Devant les Français victorieux tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l’Empereur fait sa visite au tombeau de l’Apôtre, et va jusqu’à Padron. (Cap. m.) Plein de foi, il détruit toutes les idoles de l’Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image de Mahomet que l’on appelle » Islam ». (Cap. IV.) L’Empereur, triomphant, élève une église magnifique en l’honneur de saint Jacques, et construit d’autres basiliques à Toulouse, Aix et Paris... (Cap. v.) Ici s’arrête le récit primitif, qui forme un tout bien complet et caractéristique. Le continuateur du XIIe siècle prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre Agolant. L’Agolant de la Chronique de Turpin n’a rien de commun avec celui d’Aspremont dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu’à quarante mille chrétiens’. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C’est alors qu’il repasse les Pyrénées, et qu’il est définitivement tué et vaincu sous les murs de Pampelune. Le récit d’une nouvelle guerre commence, en effet, au chap. xiv de la Chronique : Bellum Pampilonense... Donc, il arrive qu’Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une croix rouge apparaît sur l’épaule des soldats de Charles qui doivent mourir dans la guerre contre le roi Fouré : c’est l’Empereur qui a fort indiscrètement demandé ce prodige à Dieu. Ces prédestinés meurent, mais Fouré est vaincu. (Cap. xvi.) Nouvelle guerre d’Espagne. Cette fois, c’est la plus célèbre, c’est celle de nos Chansons : Roland lutte à Nadres contre le géant Ferragus et en triomphe. (Cap. XVII.) Altumajor et Hébraïm, roi de Séville, continuent la lutte. Cachés sous des masques hideux, les païens attaquent les Français avec des cris épouvantables. Les Français reculent une première fois, mais le lendemain sont vainqueurs, et Charles, maître de l’Espagne, la partage entre ses peuples. (Cap. XVIII.) Il érige alors Compostelle en métropole, et fait massacrer en Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) C’est alors, mais alors seulement, qu’on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois de Saragosse, et envoyés tous deux par l’émir de Babylone. Ils feignent de se soumettre et envoient à Charles trente sommiers chargés d’or et quarante de vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, PAR PURE AVARICE ET SANS NUL ESPRIT DE VENGEANCE, trahit son pays et s’engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l’armée chrétienne. Les Français, d’ailleurs, semblent attirer la colère du Ciel en se livrant à de