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IV. AVANT LA GRANDE EXPÉDITION D'ESPAGNE :

CHARLEMAGNE EN ORIENT.

L’Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en tête et ceint son épée : « Connaissez-vous, » dit-il à l’Impératrice, « un chevalier, un roi auquel la couronne aille mieux ? — Oui, répond-elle imprudemment, j’en connais un : c’est l’empereur Hugon de Constantinople. » (Vers 1-66 du Voyage à Jérusalem et à Constantinople, premier tiers du XII° siècle.) Charles, brûlé de jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze Pairs, et va d’abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre. Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte. (Ibid., v.67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui la sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait de la Vierge. L’attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L’Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après avoir fait vœu de chasser les païens de l’Espagne. (Ibid., 221-332.) Charles traverse toute l’Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est gracieusement accueilli par l’empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des plaisanteries, à des gabs où l’empereur et l’empire d’Orient sont fort insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui s’irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs gabs. (Ibid., 446-685.) C’est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles, fort embarrassé ; c’est alors aussi que les plaisanteries des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d’exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la Passion[1]. (Ibid., 803-859.)

Cependant Olivier avait eu un fils de la fille de l’empereur Hugon. C’est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l’ami de Roland

  1. Le Voyage à Jérusalem n’est, dans sa deuxième partie, qu’un misérable fabliau épique ; mais, si l’on considère uniquement son début et ses derniers vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependant la légende n’apparaît pas avant le Benedicti Chronicon, œuvre d’un moine du mont Soracte, nommé Benoît (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d’Eginhard en substituant le mot Rex aux mots Legati regis. (Voir Épopées françaises, 2e édition, III, p. 284, et notre première édition du Roland, II, 37.) Cf. une légende latine de 1060-1080, l’Iter Jerosolimitanum, qui devait être un jour insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voit le patriarche de Jérusalem, chassé de sa ville par les Sarrasins, réclamer l’aide de l’empereur d’Orient, et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes reliques de la Passion. Voir aussi la Karlamagnus Saga (XIIIe siècle), et, tout particulièrement, les trois sources suivantes : le ms. de l’Arsenal 3351 (XVe siècle), le ms. fr. 1470 de la Bibliothèque nationale (xve siècle) et le Galien incunable, qui nous offrent trois remaniements en prose du Voyage, avec quelques éléments nouveaux. = Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368, xive siècle, f° 144), nous fait assister à une véritable croisade des douze Pairs en Orient, et Girard d’Amiens, en son Charlemagne (commencement du XIVe siècle), raconte une expédition du grand empereur lui-même sous les murs de Jérusalem. Enfin, David Aubert, au xve siècle, ne fait que reproduire en prose. dans ses Conquestes de Charlemagne, le récit de Girard d’Amiens dont il comble une lacune importante.