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Dès que le plus ancien des remanieurs eut, pour la première fois, touché à une assonance du Roland dans le but de la transformer en rime, ce jour-là tout fut perdu. Cette seule modification en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille épopée fut irrémédiablement changée.

Le premier travail du rajeunisseur porte sur le couplet épique. Il consiste à en changer toutes les assonances et à faire choix, pour les remplacer, d’un système de rimes.

Son second labeur a le vers pour objet. Il lui faut reprendre en sous-œuvre presque tous les vers de l’ancien couplet, et les refaire un à un pour leur donner la rime voulue. Longue, délicate et rude besogne !

Mais il n’est pas toujours aisé de remplacer un vers assonancé par un vers, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas, écrit deux vers, et même trois, au lieu d’un seul. C’est là son troisième travail et qui, comme les précédents, lui est commandé par une nécessité impérieuse[1].

Une fois en si beau chemin, le rajeunisseur ne s’arrête plus. Il se donne fort gratuitement une quatrième mission. Alors même qu’il n’y est aucunement contraint, il remplace un vers de l’original par deux ou trois vers de la copie[2]. Hélas !

Il est à peine utile d’ajouter que notre remanieur, habitué à tant de privautés avec le texte original, n’hésite plus à changer tous les hémistiches qui lui déplaisent et tous les mots qui lui semblent vieillis. Mais ce cinquième travail ne semble pas avoir été le plus malaisé.

Désormais, plus de gêne. Les rajeunisseurs suppriment tels ou tels couplets qu’ils jugent inutiles, ou en ajoutent tels ou

  1. Voici par exemple, dans un couplet en on du Roland, voici ce vers : Il li tranchai ier le destre puign (vers 2701). Le rajeunisseur sent bien que les oreilles ou, plutôt, que les yeux de ses contemporains supporteraient difficilement le son uin dans une tirade en on. Que fait-il ? Il cherche un équivalent en un seul vers, et ne le trouve, pas. Alors-il se résout, sans trop de peine, à écrire ces deux vers : Li cons Rollant, qi ait maleïçon, — De son braz destre li a fait un tronçon. (Roncevaux, texte de Versailles.)
  2. L’auteur du Roland avait dit (v. 3200) : « Ço dist Malprimes : le colp vus en demant. » Le remanieur, sans aucune nécessité, écrit : « Ço dist Malprimes : « Mar doterez noiant. — Demein arez un eschac issi grant. — Aint Sarrazins n’ot onques tant vaillant ; — De la bataille le premier colp demant.» (Roncevaux, texte de Versailles.) Cf. nos Épopées françaises, 2° édition, I pp, 441-443.