Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une foule avide, enthousiaste, ardente, entourait ces chanteurs populaires et se suspendait à leurs chants.

Très-souvent aussi, la scène se passait dans la salle principale des châteaux. Le seigneur invitait le jongleur et le faisait boire. À la fin du repas, le chanteur se levait et donnait une séance épique.

Mais, qu’il eût affaire à des chevaliers ou à des bourgeois, le jongleur avait toujours devant lui un auditoire qui ne savait pas lire et qui, en fait de versification, était uniquement sensible au rythme et à l’assonance.

Or l’assonance n’est pas la rime. L’assonance porte sur la dernière voyelle sonore, et la rime, à tout le moins, sur la dernière syllabe tout entière.

À s’en tenir au système de l’assonance, Carles, guaste, pasmet, vaillet, pailes, barbe et remaigne peuvent entrer, à la fin des vers, dans une seule et même tirade. Ces mots « assonnent » ensemble.

Dans le système de la rime, remaigne ne serait admissible qu’avec muntaigne, graigne, altaigne, etc.

L’assonance est essentiellement populaire ; la rime est aristocratique. Encore aujourd’hui, en 1875, le peuple des campagnes chante des vers assonancés. Il les comprend, il les aime, il les savoure. Écoutez plutôt, écoutez ce « Cantique populaire sur saint Alexis » qui circule dans nos villages :


J’ai un voyage à faire
Aux pays étrangers.
Il faut que je m’en aille :
Dieu me l’a commandé.
Tenez, voici ma bague,
Ma ceinture à deux tours,
Marque de mon amour.


Ailleurs, dans ce même chant, épousailles assonne avec flamme, courage avec larmes, richesses avec cachette, embarque avec orage et dépêche avec connaître.

Il en était ainsi aux XIe et XIIe siècles.

Mais le jour où le nombre des lettrés devint plus considé-