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Ki cascun jur muet trente clartez.
Asez oïstes de la lance parler
Dunt Nostre Sire fut en la cruiz naffrez :
2505 Carles en ad l’amure, mercit Deu !
En l’orie punt l’ad faite manuvrer.
Pur ceste honur e pur ceste bontet
Li nums Joiuse l’espée fut dunez.
Barun franceis ne l’ deivent ublier :
2510 Enseigne en unt de Munjoie crier ;
Pur ço ne s’ poet nule gent contrester.Aoi.

CCXIV

Clere est la noit e la lune luisant.
Caries se gist, mais doel ad de Rollant.
E d’ Olivier li peiset mult forment,
2515 Des duze Pers, de la franceise gent

2502-2506. Ki cascun jur, etc. « Karlamagnus resta ceint de son épée, nommée Joïus, qui était à trente couleurs pour chaque jour. Et il possède un clou avec lequel Notre-Seigneur fut attaché à la croix. Il l’a mis dans le pommeau de son épée, et, à l’extrémité, quelque chose de la lance du Seigneur, avec laquelle il fut percé. » (Karlamagnus Saga, ch. XXXVIII.) = Notre Chanson ne parlé pas du saint clou. = La Keiser Karl Magnus’s kronike abrège violemment tout ce passage.

2503. Asez savum de la lance parler. La lance dont Notre - Seigneur fut percé sur la croix a été l’objet de nombreux récits pendant toute la durée du moyen âge. Il est facile de reconnaître ici deux courants légendaires, tout à fait distincts l’un de l’autre, et qui ne se sont jamais confondus. —1° Dans la plus ancienne version du Voyage à Jérusalem, Charlemagne rapporte d’Orient la fameuse relique que le roi de Constantinople lui a donnée ; il l’enferme religieusement dans le pommeau de son épée, à laquelle il donne désormais le nom de Giovise (Joyeuse) : d’où le cri de Muntgeoy (Montjoie). Et tel est le récit de la Karlamagnus Saga, qui peut ici passer pour le type le plus respectable de la légende carlovingienne. = 2° Tout autre est la tradition « celtique ». Nous l’avons ailleurs exposée longuement, et il nous suffira, pour faire connaître le dernier type où cetté légende a fini par se condenser, de résumer Perceval le Gallois... Ce Perceval est le fils d’une pauvre veuve du pays de Galles. Après mille aventures, il arrive un jour dans un château merveilleux. Un valet paraît, portant une lance d’où coule une goutte de sang ; puis deux damoiselles, dont l’une tient un bassin d’or, un graal : Perceval est dans le palais du Roi-Pécheur. Par malheur, le jeune héros n’est pas assez curieux pour demander l’explication de « la lance qui saigne ". De là ses infortunes. Il perd soudain la mémoire ; bien plus, il reste cinq ans sans entrer dans une église. Mais enfin, un jour de vendredi saint, il confesse ses péchés, il communie, il renaît à une vie nouvelle. Ici commencent d’autres aventures et qui ne sont pas moins merveilleuses. Perceval, réhabilité et pur,