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À coup sûr, le Roland est l’œuvre d’un Normand. Et ce fait nous parait clairement prouvé par la place considérable qu’occupent dans notre poëme la fête, l’invocation et le souvenir de « saint Michel du Péril ».

Il s’agit ici, comme je l’ai démontré ailleurs, du fameux mont Saint-Michel, près d’Avranches, et de la fête de l’Apparition de saint Michel in monte Tumba qui se célébrait le 16 octobre.

Cette fête a été, je le veux bien, solennisée jadis dans toute la seconde Lyonnaise et jusqu’en Angleterre. Mais il y a loin, il y a bien loin de cette simple célébration d’une fête liturgique à l’importance exceptionnelle que l’auteur du Roland a partout donnée à saint Michel du Péril.

C’est le 16 octobre que, d’après notre Chanson, l’empereur Charles tient ses cours plénières. C’est « depuis Saint-Michel-du-Péril jusqu’aux Saints » que notre poëte trace les limites de la France, de l’ouest à l’est. Et enfin, près de Roland mourant, c’est saint Michel du Péril qui descend, comme un consolateur suprême. Ce dernier trait est décisif. Il n’y a qu’un Normand, – peut-être même n’y a-t-il qu’un Avranchinais, – capable de donner tant d’importance à un pèlerinage, à une fête, j’allais dire à un saint de son pays.

Toutefois, ce Normand me semble avoir séjourné en Angleterre.

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À deux reprises il parle de l’Angleterre avec une sorte de mépris qui trahit le conquérant. Il en attribue la conquête à Charlemagne : Vers Engletere passat il la mer salse[1]. Et son héros lui-même, le comte Roland, quelques minutes avant sa mort, se vante de cette conquête de l’Angleterre dont il n’est question nulle part ailleurs dans notre épopée nationale : Jo l’en cunquis Escoce, Guales, Irlande, – E Engletere, que Carles teneit sa cambre[2].

Ce n’est pas tout. Le seul manuscrit du Roland qui soit parvenu jusqu’à nous est un manuscrit anglais, et ce n’est pas sans raison que Génin cite encore ces deux manuscrits de Roncevaux

  1. Chanson de Roland, vers 327.
  2. Ibid, Vers 2331, 2332. Le texte porte : il teneit.