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font entendre dans les rues de nos villages ou de nos villes.

Rien ne se ressemble moins que ces deux familles de poëmes, et leurs caractères n’ont rien de commun.

L’épopée, qui présente toujours un certain développement, est toujours chantée par des gens du métier : tels furent les aèdes chez les Grecs ; tels furent ces chanteurs de nos vieux poëmes français qu’on appelle les jongleurs.

Les cantilènes, au contraire, qui sont courtes et faciles à retenir, sont chantées par tout un peuple.

Or nous possédons deux textes historiques qui nous font voir, en effet, tout un peuple occupé en France à chanter certains poëmes rapides et brefs.

En 620, saint Faron, qui devait être un jour évêque de Meaux, sauva la vie à certains ambassadeurs saxons que Clotaire voulait faire périr. Cette belle action se mêla fort naturellement, dans les souvenirs du peuple, à la grande victoire que ce même Clotaire remporta, deux ans plus tard, sur toute la nation saxonne. De là une chanson populaire dont Helgiaire, le biographe de saint Faron, nous a transmis quelques fragments au IXe siècle, et dont il nous dit « qu’elle était sur toutes les lèvres, et que les femmes la chantaient en chœur en battant des mains[1] ». Certes, de tels mots ne sauraient s’appliquer à un chant épique.

Conteste-t-on la valeur de ce premier texte ? en voici un second qu’aucun juge ne saurait récuser. Il s’agit de cet autre

  1. Voici ces huit vers et tout le passage d’Helgaire : « Ex qua victoria carmen publicum juxta rusticitatem per omnium pene volitabat ora ita canentium, feminæque choros inde plaudendo componebant :
    De Chlotario est canere rege Francorum,
    Qui ivit pugnare in gentem Saxonum.
    Quam graviter provenisset missis Saxonum,
    Si non fuisset inclytus Faro de gente Burgundionum !
    Et, in fine hujus carminis :
    Quando veniunt missi Saxonum in terram Francorum
    Faro ubi erat princeps,
    Instinctu Dei transeunt per urbem Meldorum
    Ne interficiantur a rege Francorum.
    Hoc enim rustico carmine placuit ostendere quantum ab omnibus ce leberrimus habebatur. » (Vita sancti Faronis, Meldensis episcopi ; Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, sæcul. II, p. 617. – Historiens de France, III, 505.)